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Pedro Costa à fleur de peau – Quartier Libre

Retrospective Pedro Costa, cinéaste portugais

Montréal, Canada  – Denis Bellemare, professeur en cinéma à l’UQAC, spécialiste des productions portugaises affirme: «Le sous-monde cinématographique de Pedro Costa est une autre pensée du monde qui en fait émerger un autre, un tout autre. Car Pedro Costa envisage les êtres qui peuplent ses films dans la magie de leur entièreté, et le cinéaste semble osciller entre divers projets, tantôt narratif, tantôt expressif …»

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Image du Film Society Lincoln Center

 

Pedro Costa, réalisateur acclamé lors de plusieurs festivals en Europe et remarqué par la presse internationale, appartient à une certaine frange du cinéma portugais. À partir d’approches personnelles et hors du chemin balisé de la réalisation conventionnelle cinématographique, il a constitué depuis 1989, un registre fort de sens et de ressenti, de significations et d’atmosphères recréées. Baignant dans un climat chargé d’immobilité insondable et de suffocation, ses personnages, que l’on croirait de prime abord fictifs au cœur d’arrêts sur image, se meuvent au travers du cadre claustrophobe de leur vie. Apparaissant souvent sur des plans verticaux statiques, Vanda, Tina ou le jeune père dans Ossos, sont exposés selon une sensibilité de l’instant. La vie cul-de-sac que mènent ces adultes issus d’une génération sabrée et tétraplégique d’Estrella Africa, un quartier d’exclusion populaire de Lisbonne, semblent glacée par cette forme de paralysie extérieure. De cette apparence de surface, les personnages, au fil des films, en révèlent une dimension interne démesurée. Denis Bellemare, lors de l’entretien, insistait sur «l’intérêt que le réalisateur porte aux forces intérieures des personnages qui les conduisent, à leur absence du monde», une absence les soustrayant au devoir de présence dans la société et le quotidien. Marginaux d’apparence de l’univers de la Saudade, ils répondent à cette errance indubitablement plus apparentée à une quête qu’à un naufrage, «par des occupations propres nourrissant des projets personnels, un cheminement vers une transcendance de ceux-ci».

Entre lyrisme et splendeur, la fascination des visages…

Recherchant la simplicité expressive, dénudant quasiment ses films de toute trame sonore, évitant la multiplicité de dialogues trop riches, trop creux des créations «trop stylés qui ont moins d’effet et considérablement s’éloignent» de ce qu’il «fait maintenant», Pedro Costa, une fois son premier film initiatique O Sangue, sur les écrans, s’est progressivement dirigé vers des modes de tournage et de réalisation plus élémentaires, plus sobres, vers un «travail de la matière qui n’admet ni la séduction, ni la forme», plus proche, et plus égale à lui-même. «Le monde du cinéma d’aujourd’hui m’est devenu incompatible, il est inadéquat à ma sensibilité», ajoute-il. Et à l’instar de Vanda (de son vrai nom Vanda Duarte) figure envoûtante d’ «Ossos» aux yeux graves et perçants criant de vérité brûlante, ce visage réel, émacié, délabré par le stigmate de la pauvreté et de la détresse des faubourgs de Lisbonne, qui «riait beaucoup de la vanité et de l’exhibitionnisme du cinéma sur le plateau», il diagnostique, sans compromis, acerbe : « je ne trouve pas ma place sur ces grands plateaux et je ne souhaite pas en faire partie». Vanda Duarte, pleinement consumée par son inadaptation et l’exil temporaire de son environnement familier, en ressentit le malaise, les maux: «Cela était très gênant pour l’équipe de devoir travailler avec elle. Elle riait, elle riait tellement, se moquait des techniciens, des caméramans, de cette machine de production. Elle se moquait de tout et de tous. Elle était constamment étonnée de voir autant de monde graviter autour d’elle. Elle ne comprenait pas la raison de leur présence. Et lorsqu’elle se taisait, ce qui arrivait fréquemment, elle demeurait prostrée, muette…».

Par ses films densément corrosifs, délicatement incisifs, Pedro Costa nous invite à le suivre sur les traces perdues de ces créatures fantômatiques, de ces formes diaphanes de l’ombre arpentant à tâtons l’incohérence d’existence vouée à l’abandon et à la dérive. Une fois insérées dans l’interprétation de notre néant que leur vie définit autrement et selon des points de repère, certes équivoques et instables mais compris d’elles seules, elles glissent et continuent de vivre sous l’œil subtil de ce réalisateur de talent qui nous les offre durant quatre jours, ici, à Montréal.

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This entry was posted on June 9, 2024 by in Miscellaneous / Divers, Published Articles and tagged .