Middle Eastern and East Asian Glimpses – Sylvan GHARBI
Avant le printemps arabe –
PARIS – Sous la pluie, la fraîcheur d’un été mal commencé, mal arrimé au soleil, à ses habituelles faveurs caniculaires… Station Havre-Caumartin, arrêt Opéra Garnier, Bastille, port de l’Arsenal, quais de Seine et pluie battante sur une surface liquide, gondolée d’éclats gris, matraquage diluvien. Ce sont les rues parisiennes.
Paris nouvelle et attendue, nouvel écrin, nouvelle vue. Et je marche dans les rues de la belle Dame de Bitume Bleutée… Les odieux monticules de matière croulante à ses pieds n’enchantent guère mes sens qui ne répondent que d’un fabuleux rictus, émerveillement de ses hauteurs, ses toits, vitres miroitantes, ses façades sur lesquelles mes yeux rivés passent et se déplacent, se reposent et scellent mes paupières. Ma mémoire s’ancre, s’attache à des souvenirs et en créent d’autres, parallèle à la Grande Horloge qui bientôt les aura distancée… C’était Paris…
Quelques semaines à Paris, du ciel bas à la coupole surchauffée de gaz pollués, d’un job bidon de vendeur, d’une banlieue naze et glauque jusqu’aux couleurs vivantes des tramways et des gens des contreforts de Bobigny-Pantin-Drancy, autre verrue coincée au nord-est de Paris. Paris s’était entièrement refondue, tirée d’un ancien sommeil, elle s’éveillait à moi et je m’y plaisais, je m’y prélassais, je la laissais faire et agir sur moi…
Proche du théâtre de l’Odéon, 6 rue cassette, dans le 6ème, une agence « agréée Tunis Air », L’Odyssée, une fenêtre ouverte, des panneaux publicitaires alléchants, gondolés par un ventilateur discrètement en marche. Il fait chaud ce jour là, et dans la moiteur de cet après-midi, je passe le seuil et le sourire d’une beurette, beau, celui de Yasmina, m’accueille. Quelques pages d’un agenda négligemment arrachées, succession de dates, puis 3 heures à 35000 pieds, et l’Afrique du Nord d’abord floue dans la brume sulfureuse du Sirocco, entre mer et désert, Méditerranée et Sahara, qui déploie sur ma mémoire immaculée d’années d’oubli, sa côte corallienne. Sous les ailes du subsonique, une difficile brûlure s’inflige à ma cornée… je suis forcé de battre en retraite, je mets mes Ray Ban mais je ferme quand même les yeux, les couleurs sont trop claires, trop violentes à travers le hublot, je rêve de ce qui va m’être instamment offert… Sur les pistes… La porte de l’Airbus est rabattue, les odeurs de jasmins s’engouffrent dans la cabine et m’enveloppent… marche sur le tarmac.
Les douanes et la police des frontières derrière un comptoir, des caméras de surveillance braquées sur la foule, l’habituelle série de questions :
« Passeport ! »
Sèchement, « Qui es-tu ? »
« Tu as des racines ici… ?», « oui »,
« Bienvenue chez toi ! »,
Crac du tampon « crac », marque de l’aéroport. Je suis accepté, mes pieds foulent le sol africain, on est au Maghreb.
Tunis, son centre, son cœur, sa médina, ses minarets, son architecture coloniale, camouflet à l’orgueil berbère, estafilade d’un passé très présent toujours douloureux et infectée d’une sourde rancœur, ses souks bruyants, ses gens, ses milliers de gens, de jeunes gens dans ses rues encombrées, irrémédiablement embouteillées par de vieilles fourgonnettes Peugeot, Suzuki déglinguées, carcasses rouillées laissées au milieu de la route, vélomoteurs sauvageons amateurs de slalom et taxis jaunes, chars fulgurants, conducteurs sans tête tapotant des compteurs trafiqués au hasard des routes, des coïncidences, de destinations incertaines, péniblement se rendent vers Gammarth ou la regrettée Carthage, déposent des passagers à l’Ariana et avidement en reprennent d’autres sur les nœuds autoroutiers, s’arrêtent sur les terre-pleins ou au beau milieu de la route. Chaos régulier, anarchie permanente ou constamment un piéton, désinvolte, surprend et usurpe la place des bolides en risquant sa vie sur les bandes asphaltées, jouant son destin à la roulette tunisienne, qui ne représente que proportionnellement peu sur leur tableau de vitesse.
Je suis à Tunis, je la sens, je la redécouvre. Des transformations plastiques l’ont embelli. Des tirettes maintenant ornent les entrées de grandes banques arabes. Des doubles zéros, les Saoudiens, cachés derrière des lunettes de soleil fumées, discutent proches des bureaux de change. Alternance de cols blancs, ballets d’hommes d’affaires internationaux cigarette à la main, d’ingénieurs occidentaux ou arabes en escale vers les champs de pétrole du Sahara ou du golfe persique face à une population anormalement pauvre, une population démunie de tout. De vie luxueuse, des hôtels, palais de marbre, Jeeps BMW, de convertibles Mercedes noirs, de touristes européens bronzés trimbalant des sacs Gucci, de vies comblées et légères aux modes d’existence simplifiée à l’extrême dont le plaisir inévitablement déviant, est d’assister passivement à la débauche de plaisir, à la parade de l’opulence, au déferlement orgiaque. Et seule une mince frange d’heureux élus, accoudé à un bar cocktail, au Café de Paris, beau café climatisé de l’avenue Bourguiba, y a accès. L’arrogance est. Elle se discerne. Il ne fait pas si beau sous ce soleil furieux ce jour là. Je suis mal à l’aise… Les 42 C à l’ombre sont insoutenables. Le poudroiement de l’horizon poussiéreux est désagréable. Doucement, le nœud coulant de l’humidité se resserre et m’étouffe… Je suis ivre, ivre de chaleur, de fatigue, de tout. Je n’ai plus de force. Je suis Légume écrasé par la pesanteur. J’ai peine à me mouvoir. Je fais au moins 300 kilos présentement. Les images se mélangent, se superposent. Tout s’embrouille. J’ai la tête qui tourne et des vrilles sur les tempes. Elles vont exploser. La température est encore montée. Il est 14h00. Je rends les armes. Il est temps. Je rentre…
Je pense et je me demande. Les autres… Ils vivent sans eau courante, ils vivent sans électricité, ils vivent sans lendemain et mordent la poussière du jour qui chaque soir leur échappe, un instant de vie qui s’enfuit, qui s’évapore disparaît ; des oasis mirages, un phantasme sur les bords de la méditerranée, le cœur gros, le regard et l’espoir fixés de l’autre coté de la mer, vers ces lumières miroitantes du crépuscule, au-delà du golfe de Tunis, vers la Sicile, l’Italie, l’Espoir d’une vie meilleure en Europe. Malik, Abdallah, Rachid, Tarak ou Inès, autrefois sans papiers, des transfuges, peu importe leur nom, le lieu, à l’unisson et à peu de chose près disent :
« J’étais heureux là-bas en Italie. J’étais à Milan, à Florence, l’eldorado…. J’aimais Milan… Ils m’ont pris, ils m’ont déporté. J’y étais resté deux ans. J’aimais l’Italie… Ça n’a pas marché… ». L’Italie, la France, l’Angleterre. Des rêves…
Un sourire, de temps à autre, illumine leur visage cuivré. Des lignes dessinent une expression, ils s’ouvrent et essayent, s’essayent à nous, essayent d’écarter ces envies, ce goût acide qu’ils auraient à partager notre bonheur, notre abondance matérielle, nos atmosphères nocturnes surchauffées, ce privilège de s’abandonner aux vagues de l’insouciance. Leurs chaînes sont lourdes, lourdes à porter. Ils essayent de communiquer et avec difficulté résistent à cet élan impulsif, puis s’y rendent. Et pendant un moment, ils déblatèrent, ne peuvent s’en empêcher et s’épanchent en propos accusatoires et vindicatifs sur l’Europe, cette sirène diaphane, immatérielle et dédaigneuse. C’est un barrage, un déferlement d’agressivité, de tristesse, d’enthousiasme réprimé, vain, qu’ils n’endiguent plus, un moment de décompression, un appel au secours, un appel à l’ouverture des portes du Paradis fermé, resté sourd et impassible à leur demande. Convaincre autrui de leur démonstration, peut-être, leur permettrait-il de devenir leur propre dupe et ainsi d’apaiser leur colère, leurs frustrations, leur envie de vivre et de respirer. Ils avouent vite leur défaite. Non, ils n’en sont pas convaincus… Leurs yeux s’embuent. Ils continuent de parler. Ils parlent…
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J’avais connu la Tunisie toute mon adolescence, je la revois avec des yeux foncièrement adultes et remplis de désenchantement, d’incrédulité… Le charme étant à jamais rompu… La réalité de la corruption d’une démocratie brisée, est amère. L’édifice de la précédente présidence s’était fissuré, il y a une dizaine d’années. La dizaine d’années écoulée, il n’en reste plus rien. Le chef charismatique de l’époque, Bourguiba, était hors jeu. Écarté pour de bon, les bases de la démocratie se sont complètement émiettées et son moteur était à plat. Débouchant sur un vide politique qu’il laissait, l’éclosion d’une autocratie vorace et tentaculaire a été rendue possible par un coup d’état blanc, un remplacement tout en douceur, proche de l’anesthésie et ensuite… Les incontournables backshishs, les coups montés, l’extorsion, les entourloupes à tous niveaux, la magouille à mort, le marchandage et l’arnaque, les détournements de fonds et le vol à tout va, où tout le monde tente de s’en foutre plein les poches et être de connivence avec la flicaille locale… au su de tous. Ceci est le pain quotidien de beaucoup, d’un coté… et d’un coté seulement…
De l’autre, en toile de fond, se trouve la face ternie, souillée du pays. Voilé par les moucharabiehs de la très Sainte Industrie Touristique, filon intouchable et vénéré d’euros et de dollars, se masque et grimace l’affreux visage d’une dictature sanglante et assoiffée de pouvoir, d’arbitraire où l’opposition intellectuelle et la dissidence religieuse d’un revers de main furent balayées, démantelées, impitoyablement écrasées. Surveillance étroite de tous sur tous, sous les bons auspices d’une police visible à tous les carrefours, à toutes les intersections, à tous les coins de rues du pays, musellement de l’opinion publique, des médias, grèves de la faim, emprisonnement discrétionnaire, torture… Partout, ces symptômes de la tyrannie radiographient la diffusion souterraine de métastases gouvernementales sur le décor théâtral d’une démocratie réinterprétée, imaginée par l’autorité en place… Une imagination débordante pour un habile maquillage, vers un travestissement nébuleux tributaire des devises à laquelle la Tunisie doit, à la levée du rideau, sa vitrine et sa pompe … Parfois, à travers cet écran opaque, entend-on parler d’un vague exil ou d’une incarcération, parfois… Certains journaux étrangers sont formellement interdits de parution. Néanmoins quelques torchons francophones d’outre-méditerannée sont affranchis de toute censure : « Le Tricot en Quinze Leçons » ou « Derniers Potins sur les Stars ». À la suppression des droits fondamentaux d’expression de l’individu, aux multiples arrestations, exécutions en sourdine, disparitions, que dire et quoi rétorquer ? Je ne suis qu’un nomade du Nord, ressortissant des pays industrialisés, de cet autre monde détaché et égoïste de ses prérogatives. Et maintenant ? J’avais l’impression de n’avoir rien à dire mais j’ai vu…
Encore aujourd’hui, rien n’irise la surface vaporeuse et calme de la Grande Bleue, si calme qu’elle en est miroir, miroir de vérité. Rien ne vient troubler les plages de poudre d’or de l’Île de Jerba, de Monastir, de Bizerte, où l’Europe dilettante, trop contente d’y avoir les jambes léchées par l’écume marine, ne se soucie guère du sort de ceux qui subissent, la transparence ne se mesurant uniquement qu’à la limpidité de l’eau… Les ambassades occidentales, vastes et superbes monuments de l’ère coloniale aux palmiers épanouis, reçoivent journellement à Tunis, quantités de jeunes venant généralement chercher un visa de touriste. L’immigration n’en dispensera qu’un nombre infime, au compte goutte. Ainsi, les autres, candidats à l’exil dont le secret de polichinelle aura été éventé à coups de questions-pièges, auront vainement attendu, des heures, des jours durant, sagement en ligne d’attente, un soupir et une porte claquée au nez concluant l’ensemble.
Tant pis pour toi, génération sabrée !…
« Ici, si t’ouvres ta gueule un peu trop, on t’flingue »
« Tu comprends maintenant. Il n’y a rien ici, je n’ai rien. Je veux partir… J’en ai marre… On fume une schisha ? », « Ok ! »
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Le Sud est un endroit curieux. Retourner sa montre et y lire l’heure à l’envers. Médiateurs équivoques, références uniques, langue occulte… Sitôt Jerba et ses hôtels retournés à ses prestidigitateurs de carnaval, la piste pointant vers l’Est s’orne d’un panneau indiquant la direction du Caire, de Tobrouk, Tripoli. Je pars pour Tripoli, pour la Libye. La douceur et le luxe de Jerba s’effacent vite sur la route de l’est, cette piste bouillante, un univers primordial sans nuance, dense. Un lieu vif, tranché de contrastes. Un 46-47 C à l’ombre n’étonne pas.
J’arrive de nuit à la frontière libyenne. Il est 1h00 du matin. Je n’en serai sorti que de longues heures plus tard après douze contrôles douaniers. On frisera l’absurde. Une vérification de passeport peut s’éterniser sans raison. Le passeport une fois rendu peut être aussitôt, à nouveau exigé par un second officier, un troisième, puis un quatrième, un cinquième et ainsi de suite… Aux alentours des postes frontières se tiennent des bandes de forbans. Habillés de loques, ils troquent et échangent les dinars libyens introuvables dans les bureaux de change, cette monnaie n’y ayant aucune cotation, contre des euros ou des dollars américains. Les taux de change fluctuent d’une seule œillade. Payer est une démarche de toutes les chances. La monnaie n’ayant aucune valeur reconnue, l’appréciation des prix est aux antipodes de la notre. Il importe peu de considérer l’article souhaité. Le prix demeure aléatoire et n’est nullement lié à la logique. La Libye est un pays abordable, des fois redoutable et occasionnellement, excessivement cher. On y vit de contrebande, on s’adapte, on se démmerde, on bidouille, on truande sur les marchés noirs de la ville… Méfiance, terre de sables mouvants, les règles, dans cette cacophonie, ont sensiblement évolué depuis mon hôtel confortable. Je parle peu l’arabe. Je peux être une proie facile. Les gens se poussent, se bousculent. Ma peau trop blanche, mon iris trop pur me trahissent. J’avance. Une jeune femme vient me parler. Elle n’est pas voilée :
Dans un français hésitant mélangé à de l’arabe… monosyllabes :
« Passeport vert ? Passeport rouge ? ». Elle contorsionne ses doigts, ses mains, ses poignets. Elle veut que je la comprenne. Je la comprends, Le rouge, la couleur des passeports de l’U.E., le vert, celle des pays arabes. Je réponds :
« Passeport rouge… », « travail, pétrole ? », « Non, voyage… ».
Elle acquiesce, me scrute profondément, elle est si belle. Elle articule :
« Libye,… très difficile pour toi…. ». Elle me regarde…
Bref frisson. Je me reprends. Mes perles de sueurs froides s’évaporent…. Elle me dévisage et s’en va, me plante là. Je continuerai mon chemin, de toute façon… À ma droite, des officiers fouillent des voitures… Les minutes s’écoulent. Elle revient. Pourquoi ? Elle m’invite pour un café, une femme dans ce pays d’hommes. J’en suis étonné. J’accepte.
« Viens… »
« Qu’est-ce que tu veux ? Un café, c’est tout, tu es sûr ? ». Le regard est intense, insondable…
« Oui, un café, rien de plus…. »
À deux, à une table, elle & moi. Tout le monde nous observe. On murmure. Elle ne s’en soucie guère…
« À Tripoli, tu fais attention à passeport, ta argent. Tu parles pas n’importe qui. Ils venir te parler. Tu parles pas à eux. L’hôtel, tu vas voir police. Ils te dire où aller. Pas personne d’autre. Attention, tu n’es pas d’ici… »
« Cigarette ? ». J’accepte… Suspension… Nous fumons… silencieusement. Il faut repartir… Un douanier profère des invectives en arabe à un Tunisien. Il a des problèmes. Un cordon de police le cerne. La tension monte Quelque chose est en train d’arriver. J’ai lu toutes sortes de romans d’aventures en Orient, certains de propagande orientaliste puante « Midnight Express », « Betty Mahmoody, Jamais sans ma fille », « Flash ou le Grand Voyage ». Ils me reviennent en mémoire… tirés d’histoires vraies. Je vois… mais quoi ? Fine, la jeune femme a compris mon inquiétude et me lance de ses « R » roulés, la pupille embrasée :
« Bienvenu à Tripoli !… ».
Y-serai-je bien reçu ? L’embargo américain qui n’été levé qu’en 1999 et dont l’effet est encore perceptible, est peu explicité… l’avis de la population en général, sur ce point, étant évident. L’occident est-il une bête noire à abattre ? Est-ce consigné dans le « Livre Vert », l’étui des révélations révolutionnaires du Colonel Kaddafi . Je le saurai très vite… Je repars enfin. Il est presque 5h00 du matin.
À mi-chemin entre Mad Max et Blade Runner… Si un parallèle était dressé avec sa petite voisine, la Tunisie serait considérée comme un pays modèle. Jamais ne m’a-t-il été donné de voir quelque chose de semblable auparavant. Jamais. Le climat est très aride. À chaque moment, le parcours vers Tripoli nous rappelle que les dunes sont proches. En guise de terre, un sable hostile, des steppes ensevelies, et un littoral rocheux inhospitalier.
Le code de la route n’existe pas. On conduit à droite. Une fois cette notion franchie, tout est autorisé. Dépassement sur la gauche, accélération à 180 km/hr en ville, braquage sec à droite, à gauche. Conduite arrière sur toute la chaussée, zigzag et stationnement gênant. Le port de la ceinture… quelle ceinture ? Pourtant la voiture ne peut se déclarer comme reine du paysage routier. Prendre le volant, c’est risquer sa vie. Les squelettes encore fumant de voitures accidentées s’entassent de chaque coté de la route. Quant au piéton ou cycliste (qui n’existe d’ailleurs pas), il n’a aucun droit hormis celui de mourir prématurément. Il y a bien des panneaux, des feux, rares et servant de potiches, mais personne ne les regarde. Personne ne les respecte. Les lignes de démarcations routières font office de décoration. On peut apercevoir des hommes assis sur les rebord des portes aux vitres baissées, et s’étirant de tout leur long. Ils prennent de grands bols d’air. Les bords des routes sont jonchés de poubelles et de gravats. Le recyclage est un terme inconnu. Et ce qui ne répond plus à aucune utilité, passe illico par la fenêtre. Les contrôles de papier de véhicule ne sont pas menés donc tout est fait pour que cette situation perdure, c’est à dire, rien du tout.
La majeure partie des édifices publics est d’une laideur et d’une vétusté déconcertante. L’entretien municipal n’a pas sa place. A contrario, à l’est de Tripoli en surplomb de la mer, un site historique classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, est la preuve édifiante qu’un esthétisme autrement plus recherché prévalait, il y longtemps, longtemps… longtemps, il y a 2000 ans : Leptis Magna, une ville romaine époustouflante que peu, très peu de guides répertorient compte tenu du régime politique actuel en place et de l’importance accordée au tourisme. Comparable à la Rome Antique, avec quasiment un million d’habitants, elle la secondait. Cette similitude est revenue intacte jusqu’à nous : « Le monde antique ne présente qu’un seul autre lieu que les méfaits du temps n’ont pas trop entamé, cet autre lieu est Rome. Leptis Magna est comparable, encore maintenant, en tous points à cette dernière…. »
De taille et d’envergure politique similaires, particulièrement prisée par l’élite impériale qui y entretenait des échanges intenses et constants, Leptis Magna s’est transformée en mire culturelle et a développé ses nervures d’influence dans toute la Méditerranée. Ce ne sont pas seulement des traces qui subsistent de la grandeur de ce passé et de la puissance de cette civilisation. La pierre de taille, du gypse, d’une qualité anormalement résistante à l’érosion a figé une époque révolue de grandeur culturelle et d’ampleur militaire. En déambulant le long de ses rues, on remonte le temps, on marche aux cotés des Romains et grâce à Kalifa, mon guide d’un jour, mes rébarbatifs cours d’histoire ont pris vie devant moi. Les romains, autrefois, vivaient dans le luxe, le raffinement et la sécurité du lendemain. Tout n’était que marbre et mosaïque, faste et magnificence, jusque sur les plages ; les thermes, les arts sculpturaux, l’hippodrome, le port de guerre, les marchés aux esclaves, aux animaux… Tout était à eux. Ils avaient tout. Ils dominaient tout. Ils ont disparu. Leur empire un jour s’est effondré. Il n’y a plus rien maintenant… Des ruines seules témoignent… Cette ville hautement commerçante avait également des axes de communication qui la reliaient à deux villes non moins connues : à droite, vers l’ouest, se trouvait Carthage, à gauche vers l’est, Alexandrie ». Pharaons et Phéniciens… Pareillement disparus… Que dire de l’époque moderne ? Que dire ?